Archive pour juillet, 2017
Ecrire… Pourquoi ?
V e t o
La Gamme
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Lettre musicale à un inconnu
La réalité de l’enfance dans l’interrogation des grandes personnes dérange brutalement la féerie (J.Cocteau)
Voyons voir… Je ne pense à rien. Je ne fais rien. Je suis… inutilement. Puis à la radio, en demi-teinte, le scherzo n°2 en mi bémol de Frédéric Chopin. Ma peau frissonne. Ondulations incontrôlées sous les cheveux. Je m’éveille merveilleusement. Cette musique m’envahit, me pénètre jusqu’aux tréfonds les plus intimes. Je vais, je vole derrière ces notes qui ruissellent sur le clavier et, quelques instants plus tard, j’épouse la pause classique. Mouvement de nostalgie avec un Chopin plus que jamais pétri de sa Pologne natale qui semble resurgir par miracle dans chaque mesure syncopée, au rythme d’une armée de Libération en route. Puis c’est la joie, comme celle d’un enchantement retrouvé, la cadence qui va crescendo dans une espèce d’hymne épanoui à la gloire du pays. On revient enfin à l’appel enivrant du début, en forme de lei-motiv, qui vous ramène au rêve initial avant de vous emporter dans un final grandiose s’ouvrant comme une gerbe d’une pathétique envolée, dans un don total, une émotion unique, où l’on ne peut que difficilement se retrouver soi-même en redescendant sur terre :
« Tels qu’en nous-mêmes enfin l’Éternité nous change » Mallarmé
Voilà l’Harmonie, la magie de la musique, son miracle permanent, ce catalyseur de la sensibilité, toujours là, aux aguets, sans jamais nous surprendre, comme si elle était déjà en nous et qu’elle entrait tout simplement chez elle en y laissant son empreinte renouvelée, pourtant unique.
Mais cette harmonie la percevons-nous tous de la même façon, en solitaire ou en groupe ? La réponse est NON bien sûr et ce pour toute forme d’Art, mais avec une mention particulière pour la musique qui a ce caractère fugace et instantané. Est-ce pour cela qu’on ne s’en lasse pas, parce qu’elle n’a fait qu’effleurer notre sensibilité par le truchement d’un phénomène sonore. Et nous savons quelle est l’importance de l’oreille dans le réseau complexe de notre équilibre. On peut donc entendre sans écouter, mais vibrer au son d’une marche militaire et rester de glace pour un concerto de Schumann qui pour d’autres recèle l’expression même de l’harmonie. La singularité de la musique ne s’arrête pas là puisqu’elle peut être encore une perception involontaire pendant que je me livre à d’autres occupations qui n’ont absolument aucun rapport avec elle. Ainsi pendant que j’écris dans un acte décidé et voulu, j’entends et j’écoute un concerto de Mozart classé dans la catégorie des musiques en ré majeur que j’apprécie, à cette nuance près, qu’il y a de multiples façons de le recevoir. La principale, et ma préférée est celle perçue dans la solitude en ne se consacrant qu’à cela. Il faut reconnaître qu’on atteint alors un seuil de complications enchevêtrées, impossible à démêler dans cette seule lettre humble, partielle, ne survolant que quelques points considérés comme importants par le scripteur, mais qui peuvent naturellement être différents selon les individus. Car, si je peux dire que telle audition, réunit pour moi-même les ingrédients secrets d’une harmonie spécifique (formation et arrangement de sons qui me sont agréables) par contre, je reste imperméable à d’autres musiques, par exemple la musique de Chambre que d’autres apprécieront. Nous entrons donc là dans la subjectivité de chacun. Mais (encore !) nous sommes pétris de notre enfance et des bouleversements multiples de notre éducation (qui va jusqu’à l’initiation quelquefois) et c’est le produit de tous ces avatars qui écoute en ce moment du Mozart (quoi de neuf ?) et qui le perçoit peut-être dix fois moins positivement que mon voisin dont le père est 1er prix du Conservatoire de piano de Paris.
Bien sûr, la musique n’est pas un domaine réservé aux esthètes et elle peut être le siège des émotions de Monsieur tout-le-monde. En exceptant les quelques particularités citées plus haut, elle est à rapprocher aussi bien de la peinture, de la sculpture, de la poésie. Là, la perception devient totalement volontaire, car si je me rends au Musée du Louvre pour voir et revoir « Mona Lisa » et « La Vierge, l’Enfant Jésus et Sainte Anne » du même Léonard, « L’Hiver » de Poussin, méditation sur la mort à laquelle personne ne peut échapper, le « Gilles » éternel de Watteau, le « Saint Michel » de Raphaël, les « Sabines » de David (le Saint des seins), la petite « Vénus » de Cranach, les « Trois Grâces » de Régnault (pas de Rubens qui fait dans l’adipeux) etc, etc… c’est que je veux les voir et ils sont là, inamovibles, mais rien n’est simple.
Il y a d’abord l’inspiration du créateur selon l’objet ou les circonstances. Il y a ensuite sa volonté de traduire sur la toile ou dans le marbre, sa propre conception. Il y a après, le résultat de cette entreprise qui peut ne correspondre qu’imparfaitement au vœu initial. Il y a enfin ce que moi-même je vais voir et essayer d’interpréter. Si le sujet est historique, sa trame est une référence qui vous aide. Même chose avec le fonds mythologique. Mais si c’est un paysage ou un nu (Ah ! Chassériau !) la notion d’harmonie devient diffuse et complexe et chacun d’y aller de son optique personnelle, de ses goûts particuliers, de ses fantasmes (qui ne sont pas obligatoirement pervers !). Là aussi on a souvent besoin d’être seul pour retrouver la fraîcheur de notre regard, parce qu’on peut prendre le temps nécessaire pour une analyse ou une introspection, c’est pour cela que le Louvre ne sera jamais tari. Il nous attend et ne nous trahira jamais.
Peut-on dire pour autant que l’harmonie n’existe pas en dehors de notre oreille ou de notre regard ? J’hésite à répondre car ma sensibilité est exacerbée et je ne saurais apporter des éléments sans qu’ils soient filtrés au préalable par ma propre subjectivité… Je suis cependant très heureux de faire partie (avec vous, sans doute !) de ceux qui écoutent, qui perçoivent et qui essaient de traduire. Je connais un certain nombre de « sourds-aveugles-muets » en ce domaine. Je ne les condamne nullement mais je regrette pour eux cette imperméabilité, car enfin, ce qui nous distingue de l’animal c’est bien cette fibre, cette antenne exceptionnelle qui nous fait réagir positivement à la manifestation d’un esthétisme quel qu’il soit. Il est évident qu’on peut aussi réagir positivement dans plusieurs autres domaines, les affaires, l’appel des voyages, les collections, le goût de l’histoire, la généalogie, la bonne table… que sais-je… autant de domaines qui peuvent d’ailleurs coexister, mais qui ne laisseront pas, je crois, de traces indélébiles dans la mémoire de notre sensibilité.
Au risque de vous imposer un long verbiage insipide, j’aimerais beaucoup continuer à me perdre dans les méandres de ces pensées improvisées, mais leur réception étant une donnée inconnue, je crois pour aujourd’hui qu’il est préférable de faire court. Je pense, en effet, que je bifurquerais inévitablement sur des notions d’Amour, puisque dans Harmonie, nous retrouvons les lettres de noblesse du verbe AIMER.
Sans vouloir effleurer le thème, je vois mal un individu – homme ou femme – au cœur sec, s’émouvoir dans le ruissellement cristallin de la « Cathédrale engloutie » ou devant les mystères d’une descente de croix de Rembrandt. Il faut donc éprouver cette faculté d’aimer, encore aimer, toujours aimer, en décelant dans le détail et le quotidien, tout ce qui a été déserté par le diable et où quelques gouttes d’éternité dansent dans l’invisible et l’impondérable.
Yours.
Ricochets en Couleurs
L’Alexandrin
Un an après
Acrostiche du Fond
Oum-Douil (Tunisie) 1947