Aspiration
-As-tu pu mon ami me causer tant de larmes
- J’ai trop été Madame amoureux de vos charmes!

Qu’il est beau ce stylo dont je ne me sers plus Sa plume est sans emploi mais reste encore humide Un cadeau de Noël en des temps révolus Mais sa ligne pourtant n’a pas pris une ride Précieux, élégant, il glisse sous mes doigts Il m’incite à reprendre un ancien service Va -t-il ressusciter ainsi comme autrefois De sa belle écriture aussi claire que lisse ? Mais je ne le tiens plus car il devient volage Il voudrait retrouver sa noblesse d’antan Ecrire des mots doux ainsi de page en page Evoquer à nouveau l’amour qu’il aime tant ! Comme un oiseau blessé alors se réfugie Dans un silence obscur où il semble mourir Le voilà devenu une image assagie Sans lui entre mes mains que vais-je devenir ? Mais que vois-je à présent sur ma feuille en attente ? Voulant écrire seul il vient de s’élever Il est là tout à coup qui m’appelle et me tente Je le prends doucement car ne puis m’esquiver. Mais il va m’éblouir dans une fin heureuse Car ravi de pouvoir figurer son retour Dans une rédemption son encre est lumineuse En reprenant les mots où triomphe l’amour
Puis-je encor me servir de cette belle plume ? Le « bic’ est arrivé jouant le dernier clerc Adieu Sergent Major avec quelque amertume Comme en la reléguant au souvenir d’hier. Qu’est devenue alors cette belle écriture Les pleins , les déliés appliqués avec art, A -t-on donc oublié cette longue aventure Peut-on la retrouver ? Elle est là quelque part… L’encrier toujours là, n’est plus qu’un écrin vide Son encre est désséchée avec le cours du temps On ne remarque plus que cette tâche humide On n’y trempe plus rien et ce, depuis longtemps ! Il m’arrive parfois de retrouver ces pages Où chaque ligne est là en un style élégant Appréciant encor ces anciens avantages Et vibre dans mon cœur comme un remords flagrant. « Voilà, voilà Madame », ai dit à ma maîtresse En montrant mon devoir avec ma plume écrit « C’est très bien mon petit, c’est fait avec adresse, Quelle belle écriture ! un bon tournant est pris ! » Depuis lorsque je pense à ma première classe Mes regrets étouffés restent inconsolés Je retournerais bien sur mon banc à ma place Retrouvant en pleurant ces instants envolés…
C E N T -T R E N T E AN S
Aujourd’hui cher Papa, fêtons tes cent-trente ans Je veux dans ce poème aviver ma mémoire Malgré le temps qui passe et les jours en suivant J’aimerais retrouver des points de notre histoire Nous fûmes séparés en mil-neuf-cent-vingt-huit Pour aller vers Maman, j’avais deux ans à peine Te voilà malheureux , ta famille détruite Solitude soudain et tout ce qu’elle entraîne Ta femme qui s’enfuit, l’amour qui t’abandonne T’occuper d’un ménage où rien ne te retient Tu cherches des soutiens, mais ne trouves personne La tristesse et l’horreur du destin qu’est le tien Mes trois frères sont là mais tu ne sais que faire Tu vas les envoyer là-bas à Djedeïda Marius n’ a que huit ans, Paul sept ans, l’autre frère, Robert, n’a que quatre ans, accroché à Papa Quel supplice bien sûr que fut alors leur vie Laissés à l’abandon, privés de leurs parents Pour ces pauvres enfants c’était la tragédie Quand j’y pense parfois, que je t’en veux Maman ! Qui nous dira jamais ce que pensaient peut-être Ces petits innocents souvent désorientés Ces souffrances parfois qui tourmentaient ces êtres Dans ce mauvais destin qui les a rejetés Retour à la maison et fin de l’agonie On va ici ou là, déménageant souvent Pauvres gosses perdus, et quelle ignominie Tout un pan de jeunesse envolé dans le vent Et d’une école à l’autre ils vont chercher leur voie Le Collège_Allaoui, repaire de voyous S ’égrainera le temps, plus triste qu’on ne croit Et puis chemin faisant, s’en sortent malgré tout Parfois je pense à Paul à sa triste aventure Privé de sa maman, s’éloigna et s’enfuit Pour se rapprocher d’elle, et dans une voiture Il pleura tout son saoul en y passant la nuit Passage Paul Cambon et nouvelles adresses Car parfois c’est trop cher, il faut déménager A chaque changement l’impossible se dresse Enfin l’ultime endroit qu’on ne va pas changer Pour survivre pourtant La poste est ta ressource Car il doit soutenir les trois petits marmots Il faut tout assurer sans faiblir dans ta course Mais comment s’en sortir, voir la fin de tes maux ? Puis tu vas rencontrer Irma Castel-Sagra Elle a trouvé la poire et te fait les doux yeux Tu crois trouver l’issue et en fais tes choux gras Hélas! un peu plus tard, ce ne sera pas mieux ! Quarante-deux, novembre, on ne se réjouit guère A Tunis à présent s’installe l’Allemand Ils décident tous trois de partir à la guerre En me laissant le soin de prévenir Maman Mais la guerre c’est long, ses dangers et ses craintes Maman n’en pouvant plus ne rêve qu’au retour Certains soirs quelquefois, les lumières éteintes, C’est sainte Rita, sa prière d’amour On retrouve à Lyon Marius après la guerre Du boulot aussitôt chez un grand chirurgien Il rencontre Mado sa conquête dernière Ils se sont mariés, un bonheur Ô combien ! Et Paul le Don Juan aux PTT s’installe Bricoleur, démerdard, il fait ce qui lui plaît Va connaître Denise, il la prend, il l’emballe Vont connaître un bonheur convenant à souhait Le dernier c’est Robert : Sécurité Sociale Où il trouve aussitôt l’affaire qu’il lui faut Il rencontre à Lyon Josette , l’idéale Mais malheureusement elle mourra bientôt Tous trois sont décédés, que paix soit en leur âme Et de ce long roman n’est plus aucun témoin Le destin accompli, que perdure la flamme Et Maman et Papa ont pris même chemin Mais Jo ta douce Jo tu ne penses qu’à elle Et cinquante ans après tu lui écris toujours Elle est encore en toi, ton amour prend des ailes Tu veux l’aimer encor, lui refaire la cour Tu vins souvent à Nice allant sous sa fenêtre Il est vrai que tu fus l’homme d’un seul amour Tu voulais la revoir avant de disparaître Ta Jo tu l’aimas tant jusqu’à ton dernier jour Et me voilà ce soir racontant cette histoire Comme un dernier témoin, unique descendant Souvenirs précieux enfouis dans ma mémoire Suis le seul héritier et le seul survivant